La cuisine de Denis Martin vue des fourneaux
Reportage - Le cuisinier veveysan livre les secrets de ses plats pas comme les autres.
Alain Giroud
Publié le 30 juin 2005Le menu dégustation de Denis Martin se décline en quinze étapes, alternant amuse-bouche et plats véritables, histoire de varier les sensations. Dans la cuisine, calme plat.
La mise en place est minimum, pas de fond qui mijote au coin du fourneau, juste quelques pipettes remplies de liquides colorés et des tiroirs réfrigérés contenant les produits prêts à cuire.
Dans un coin, un cuisinier bat au mixer un liquide aqueux et blanchâtre. Au-dessus de la bassine s'élève une mousse dense et stable. Elément indispensable de la première préparation.
Champoing de mojito.
© Pascal FrautschiLe shampoing de mojito: dans un récipient, 3 l d'eau, 300 g de sucre, 300 g de jus de citron et 3 g de lécithine de soja. Sous l'effet du mixer, la mousse s'élève. Elle surmontera, comme un shampoing, le mojito, cocktail cubain (rhum blanc, sucre de canne, lime et menthe) recréé par Denis Martin en deux versions, un granité et une émulsion chaude élaborée avec un appareil Isi. Vous savez, ces bombes à gaz qui transforment de la crème en chantilly en quelques secondes. Original.
Cet «Isi» est indispensable au chef, car il lui permet de créer aussi des mousses chaudes en mettant la bombe au bain-marie.
Rouleau de thon: Le canard laqué a donné l'idée de ce plat où une fine tranche de thon remplace la crêpe. Assaisonnée de sel, poivre et d'un soupçon de vinaigre, elle est roulée avec une feuille de menthe et des filaments de poireau cru. Escortée d'un yaourt émulsionné et de wasabi dilué dans de l'eau, elle rejoint le monde des sashimis. Remarquable.
Œuf soufflé au lard sans lard: une cuillère glacée, un jaune d'œuf cru et le blanc en neige. Sans blanc. En fait, une émulsion d'eau et d'huile passée au four à micro-ondes. Elle devient consistante et monte dans le verre. Rigolo.
Gambas au gingembre, cacahuètes et huile de coriandre: sur le fourneau, une marmite d'eau frémissante et une passoire. Le chef y jette quelques gambas crues, les cuit dix secondes. Aromatisées avec un mélange suave de cacahuètes émulsionnées avec de l'eau, du sucre et de l'huile de coriandre aux piments thaïs, elles conservent son croquant. Elégant.
La mayonnaise chaude au caramel de poivre: émulsion chaude (Isi) à base de caramel de poivre au pamplemousse, associée à une gelée du même fruit. Ludique.
Foie de canard.
© Pascal FrautschiFoie de canard à la gelée d'orange: escalope de foie gras, panée de cinq épices, dorée à l'unilatérale et servie avec un cube d'orange et un biscuit d'amandes. Tonique.
Purée de pommes de terre virtuelle et poudre de boudin: voilà un des plats les plus étonnants du nouveau Denis Martin. D'un côté, une poudre glacée de boudin noir, de l'autre une mousseline virtuelle. Pour obtenir le premier, le chef congèle le boudin et le «râpe» au Pacojet (machine permettant de faire un sorbet avec un bloc de jus de fruit). Mais pour obtenir un granulé et non une pâte, cette opération s'effectue en quantité infime et la poudre est dispersée sur des plaques refroidies à l'azote. Elle reste intacte et coule dans le bol comme une fine semoule. Elle se déguste avec une émulsion chaude de lait, blanc d'œuf et huile de noix, toujours avec la bombe Isi. Elle ressemble en texture à une pomme mousseline de rattes, et au goût aussi, grâce à l'élégante saveur de noix. Impressionnant.
Bar de ligne à l'huile de persil et paille au citron: le bar de ligne, rôti sur peau, est cerné d'une huile de persil et surmonté d'une pastille gelée (à l'agar-agar) de vinaigre de vin rouge maison. Avant de déguster, on aspire le contenu citronné d'une paille pour réveiller les papilles. Superbe.
Ecume d'huile de cacahuètes grillées, limoncello et fleur de sel: Sur une base de limoncello, une émulsion aérienne au parfum grillé. Etonnant.
Ravioli liquide aux pommes granny-smith: sur une compote, feuille de gelée se liquéfiant en bouche. Evanescent.
Langoustine au café de pistache: crustacé doré dans une pâte chinoise, posé sur une marmelade de figues et associé à un café de pignons de pin torréfiés, sucre et mie de pain. Un trait de curry dynamise le plat. Magnifique.
Gaspacho noir: Dans un bol noir, une émulsion à base d'ail blanchi, amandes fraîches, mie de pain, huile d'olive et eau. Lorsqu'on vous prie de bien mélanger avant de déguster, le mélange blanc devient noir grâce à l'encre de seiche déposée au fond du bol. Magique.Sniff d'eau chaude: un tube empli d'eau de tomate qui fume. L'eau est lentement extraite de tomates pressées et les fumerolles provoquées par une goutte d'azote liquide ajoutée avant l'arrivée sur la table. Joyeux.
Poulet au kafir et crème glacée à l'estragon: filet de poulet de ferme finement escalopé, cuit dix secondes dans de l'eau frémissante. Il est mélangé à un caramel de soja japonais associé à du gingembre frais, piments, feuille de kafir et zestes effilés de citron confit. La légère liaison à la maïzena donne une texture gélatineuse. Goûteux.
Pigeon à la raisinée: pigeon poêlé à unilatérale, saignant à cœur, cerné d'une réduction de raisinée. Parfums complexes et envoûtants. N'y a-t-il pas un soupçon de glace de viande dans cette sauce? «Non», répond Denis presque agacé. Alors, un seul mot, somptueux!
La volupté des desserts
Desserts aux sensations multiples. Emotion pour la pina colada aux pépites d'ananas avec son émulsion de lait de coco et rhum blanc. Et pour le sabayon au mascarpone et cacao monté à l'Isi. Voluptueux.
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